jeudi 19 septembre 2013

 UE2014 -  UNE QUESTION QUI NE SERA PAS POSÉE : CELLE DE L'AVENIR DE L'EUROPE


À la veille des élections européennes de 2014, on distingue assez bien les principales conceptions de l'Union européenne - et donc de son "avenir" - qui se présentent aux responsables en place de ses États membres.

Elles sont schématiquement au nombre de trois :

1. l'Europe intergouvernementale dans laquelle

    - les décisions sont initiées et prises - à l'unanimité pour les principales -  par les Gouvernements (au niveau des Chefs, pour les plus importantes),

    - ces décisions sont ensuite  mises en forme et officialisées par les Institutions européennes (puis transmises, pour application autonome, aux administrations nationales),

   - l'appui technique est apporté par la Commission et la caution démocratique par le Parlement européen,

   - ces décisions ont pour objet de réglementer les activités économiques et de développer - sans gêner les acteurs nationaux - une gamme maîtrisée de politiques communes (à l'exception des domaines de souveraineté comme la politique étrangère et la défense),

   - la source du pouvoir et de la légitimité politique du processus demeure dans le chef des seuls États, pris isolément et collectivement.

2. l'Europe mercantile ( du "grand marché") dans laquelle

    - les décisions sont prises par les Gouvernements,

    - l'intervention (en fait l'existence même) des Institutions est superfétatoire,

    - ces décisions se limitent à l'ouverture du marché des biens, capitaux et services ainsi qu'à quelques règlementations connexes (concurrence, tarif extérieur commun),

    - les questions du pouvoir et et de la légitimité politique ne se posent pas ou, plutôt, se posent dans les mêmes termes que pour les relations internationales classiques.

3. l'Europe communautaire (ou pré-fédérale) dans laquelle

    - les décisions sont initiées et prises par les Institutions européennes,

    - le pouvoir législatif est assuré conjointement par les représentants des États (Conseil de Ministres) et des peuples (Parlement européen),

    - le Gouvernement (initiative et exécution) est assuré par la Commission sous le contrôle du Parlement,

    - ces décisions portent sur tous les sujets d'intérêt commun au sens large (y compris la justice, la police, la politique étrangère et la défense, ...) dans le respect des principes de proportionnalité et de subsidiarité,

    - la source du pouvoir et de la légitimité politique du processus est transférée collectivement au Conseil et au Parlement européens.


Pour matérialiser ces trois orientations (encore une fois, schématiques), disons que la France est traditionnellement plus proche de la première, le Royaume Uni de la seconde et l'Allemagne de la troisième.

Chacun essaiera ensuite de classer les autres principaux États membres (dont l'Italie, l'Espagne et la Pologne) dans l'une de ces catégories - en tenant compte de l'assez grande volatilité de l'orientation européenne des gouvernements de ces États.


Depuis le "grand élargissement" de l'UE en 2004/2006, on a vu la conception intergouvernementale se développer,  en dépit de l'"approfondissement" institutionnel opéré par le Traité de Lisbonne. La conception mercantile - bien que minoritaire - est demeurée vivace et combative , se posant en principale alternative à la précédente. La conception communautaire a été la principale victime de cette évolution, faute notamment d'avoir été suffisamment défendue par les Institutions elles mêmes, Commission et Parlement.


Ces tensions - qui pourtant déterminent fondamentalement l'"avenir de l'Union" - ne sont guère perçues par l'opinion publique. Elles ne seront probablement pas au centre du débat européen de 2014 qui portera principalement sur l'orientation des politiques (économiques, financières, sociales, environnementales) - et sur les clivages gauche/droite, pourtant assez décalés dans le contexte européen.

Collatéralement, les partisans de l'Europe mercantile (et, plus largement, de la renationalisation de l'Union) remettront en question la légitimité et l'utilité mêmes de l'entreprise européenne. Ils ne seront que mollement combattus par les partisans de l'Europe intergouvernementale et encore moins par les soutiens évanescents et dispersés de l'Europe communautaire.


Ainsi, la question de l'"avenir de l'Europe" ne sera pas clairement posée ni débattue. Les nouvelles Institutions mises en place demeureront dans l'ambiguité paralysante actuelle. La conception constructive (l'Europe communautaire) verra ses partisans, déjà bien mal organisés, perdre durablement toute force et crédibilité. La conception destructive (l'Europe mercantile) se renforcera sans pouvoir encore l'emporter. La conception "réaliste et pragmatique" (l'Europe intergouvernementale) continuera à dominer le terrain sans pour autant offrir une quelconque vision politique du futur - même à moyen terme - de l'Europe.

Le résultat probable sera, globalement, un affaiblissement du sentiment d'unité et de solidarité entre les peuples européens - un affaissement des Institutions et des politiques européennes - un renforcement du souverainisme et du nationalisme - une régression de la place et du rôle de l'Europe dans le monde - une incertitude accrue sur son "avenir".

Jean-Guy GIRAUD




















mercredi 7 août 2013

UE 2014 : recentrer l'action européenne sur l'essentiel


La Commission vient de lancer une proposition formelle de directive relative au respect d'un certain quota de membres féminins dans les conseils d'administration des sociétés cotées.

Comme il fallait s'y attendre, cette proposition a déclenché une polémique inutile et hors de proportion avec son importance concrète. Elle a renforcé l'argumentation des États et des opinions publiques hostiles par principe à l'intervention de l'UE dans le champ sociétal. Elle a irrité ceux qui estiment que l'UE "se mêle trop des petites choses et pas assez des grandes".

De fait, cette initiative prête le flanc aux critiques suivantes :

1. sa base juridique est fragile et, en tout cas indirecte : l'article 157 TFUE traite de l"égalité des rémunérations" H/F dans le cadre de la politique sociale et non pas de l'égalité des déroulements de carrière qui est un tout autre problème.

2. ce problème nécessite des solutions adaptées aux circonstances nationales; l'adoption de quotas arbitraires et uniques n'est pas souhaitable. Il s'agit d'un cas typique où le principe de subsidiarité doit jouer à plein.

3. toute proposition "politiquement correcte" n'est pas forcément opportune; "gouverner c'est choisir" ce qui est vraiment utile, important et prioritaire. En l'espèce, la Commission pourrait se limiter à souligner publiquement le problème et suggérer aux États des mesures nationales appropriées.

4. en refusant (contrairement au Traité) de limiter le nombre des commissaires, le Conseil européen est indirectement responsable de ce type de problèmes.

Jean-Guy GIRAUD

vendredi 2 août 2013

UE 2014 : adhésions hâtives


Un phénomène étrange se perpétue dans l'Union européenne en matière d'adhésion de nouveaux États au sein de l'UE elle-même et de l'Eurozone :

- d'une part, les Institutions et les Gouvernements reconnaissent tous plus ou moins ouvertement que plusieurs adhésions passées ont été précipitées et prématurées - que les "critères" officiels d'admissibilité ont eu un caractère assez formel et ont mal reflété la réalité des situations économiques et politiques - que les mises en garde de certains organes comme l'OCDE ou la BCE n'ont pas été prises en compte,

- d'autre part, les mêmes poursuivent imperturbablement leur politique de "porte largement ouverte" à l'entrée dans l'UE comme dans l'Eurozone sans tirer les leçons des dégats causés par le laxisme passé.

La principale raison de ce paradoxe est de l'ordre de ... la psychologie politique:  émettre le moindre doute sur l'admissibilité d'un candidat relève du politiquement incorrect dans lequel aucun responsable ne souhaite s'engager. Le Parlement européen en est le meilleur exemple; la Commission (le collège plutôt que les services) n'est pas en reste; le Conseil - qui, lui, n'a pas en charge l'intérêt général ni l'avenir de l'Union - ne se préoccupe que de vagues considérations "géopolitiques" et aucun de ses membres ne souhaite jouer le rôle de l'"empêcheur d'adhérer en rond".

Le dernier exemple en date est celui de l'adhésion de la Lettonie à l'Eurozone.

Moins de 6 mois avant la date fixée pour son entrée, plusieurs sources externes "découvrent" subitement - et en partie grâce aux révélations du
superviseur letton lui-même... - que de nombreuses pratiques financières dignes d'un paradis fiscal existent et même se développent en Lettonie, sur le "modèle" chypriote. Non seulement le secteur bancaire s'y révèle soudain hypertrophié mais il serait également pénétré par des capitaux clandestins d'origine russe.

Or il est hautement improbable qu'aucun responsable européen ne prenne publiquement l'initiative de reporter la date d'adhésion  jusqu'à ce que toute la clarté (possible) soit faite sur la situation réelle des banques lettones et de la connection supposée russo-lettonne.

À moins que la presse ne facilite le travail des responsables en mettant l'opinion publique au courant de la situation réelle du secteur financier letton - mais ce sera sans doute trop tard.

Jean-Guy GIRAUD

jeudi 6 juin 2013

UE 2014 : quel déficit démocratique ?

Le contrôle démocratique sur la nomination des hauts dirigeants européens est  beaucoup plus intense et efficace qu'on ne le croit souvent.

Le Parlement européen vient de le démontrer à nouveau sur trois nominations :

- celle du candidat Croate comme membre de la Commission : les auditions, menées par les commissions compétentes du PE, ont été jugées insatisfaisantes et le candidat devra fournir de nouvelles explications

- celle du candidat Croate comme membre de la Cour des Comptes : la commission compétente a donné un avis négatif sur cette candidature

- celle du candidat Roumain comme membre de la Cour des Comptes : la pleinière du PE a rejeté (en 2012) cette candidature sur avis négatif de la commission compétente.

Ces trois exemples récents - faisant suite à de nombreux précédents - confirment l'effectivité du contrôle du PE sur le choix des dirigeants des Institutions européennes (à l'exception notable et justifiée de la Cour de Justice).

Les auditions des candidats présentés par les États sont notoirement approfondies - voire intrusives - et s'attachent à ne laisser aucune zone d'ombre dans leurs précédents parcours professionnels, leurs qualifications et motivations, leur indépendance, les éventuels conflits d'intérêt, etc..., indépendamment de leur notoriété ou affiliations politiques.

À présent pleinement avertis de la rigueur de ce contrôle parlementaire, les gouvernements ont progressivement renoncé à présenter des candidats politiquement influents mais insuffisamment qualifiés pour les fonctions concernées. Les récents et futurs États membres l'apprennent à leurs dépens.

Quels États membres peuvent prétendre exercer un tel contrôle démocratique sur la nomination des responsables nationaux ? Le "déficit démocratique" n'est pas forcément là où l'on croit.

Jean-Guy GIRAUD

mardi 28 mai 2013

UE 2014 : la Commission restera pléthorique


C'est dans la plus totale indifférence du Parlement européen, des media et des milieux européens que le Conseil européen des 22/23 mai 2013 a confirmé officiellement son refus de réduire la taille de la Commission - ainsi que le prévoyait pourtant le Traité de Lisbonne - afin de permettre à chaque État membre de conserver "son" commissaire.

C'est la deuxième fois que le Conseil européen revient sur cette décision de réduction :
- le Traité de Nice prévoyait un nombre de commissaires "inférieur au nombre des États membres" à partir de l'adhésion du 27ème État (soit 2009); cette promesse n'a pas été tenue .
- le Traité de Lisbonne prévoyait "un nombre de commissaires correspondant aux deux tiers du nombre des États membres à partir de 2014"; cette promesse a été rompue par le Conseil européen avant même l'entrée en vigueur de ce Traité (en vue d'en faciliter la ratification , notamment par l'Irlande).

La décision du 23 mai 2013 ne fait qu'entériner ce deuxième refus . Elle est également assortie d'un nouveau rendez-vous, pour un nouvel examen de la question, fixé à ...2019 ! À cette date, l'UE - et donc le collège de la Commission - compteront au moins 30 États membres.

Cette incapacité du Conseil européen à accepter la déconnexion entre la Commission et chacun des États membres est motivée par le souci de ceux ci de préserver leur statut, leur représentation et leur influence au sein de l'exécutif. Elle dérive également de la crainte corporatiste de voir l'organe exécutif de l'UE rompre ce noeud gordien et s'affranchir trop nettement du Conseil.

La Commission de 28 membres installée en 2014 devra donc trouver d'autres moyens pour asseoir son indépendance et assurer l'efficacité de son travail. De nombreuses solutions sont possibles, dont la constitution d'un "cabinet restreint" composé des commissaires responsables des grands dossiers : les affaires étrangères et la défense bien sûr, mais aussi les affaires économiques et financières ainsi que d'autres questions que le nouveau Président considérera comme prioritaires.

De façon générale, il faut espérer que le nouveau Président - qui sera vraisemblablement le candidat du parti politique européen majoritaire à l'issue du scrutin - aura l'autorité suffisante pour rester maître de la composition et de l'organisation de "sa" Commission. Si tel est le cas, celle-ci pourrait regagner un peu du pouvoir et du prestige que le Conseil européen ne cesse de lui refuser.


Jean-Guy GIRAUD













, b "Haut Représentant", mais aussi  bien sûr"

lundi 27 mai 2013

UE 2014 ; Quelle "union politique" ?

UE 2014 : Quelle "union politique" ?

Le Gouvernement français vient de faire l'annonce d'une prochaine initiative visant à renforcer l'"union politique" européenne.

Ce terme a été jusqu'ici utilisé pour désigner l'ensemble du dispositif politico-institutionnel au service du processus d'intégration européenne. Il se réfère notamment - comme ce fut le cas pour l'élaboration du Traité de Lisbonne - à la gouvernance de l'UE (cf. les rôles respectifs de la Commission et du Conseil), à sa démocratisation (cf. rôle du Parlement) et à l'évolution de ses compétences; ainsi entendue, l'"union politique" concerne, bien entendu, l'ensemble des États membres.

Les déclarations officielles du Gouvernement français semblent au contraire ne viser que le volet économique et monétaire (l"union économique et monétaire") de l'Union et paraissent ne s'adresser qu'aux seuls membres de l'Eurozone. Elles concerneraient principalement l'institutionnalisation d'une sorte de directoire intergouvernemental habilité à faire progresser la coopération de l'Eurogroupe en matière économique, budgétaire, financière et, éventuellement, fiscale. Les activités de l'Eurogroupe se développeraient en marge de l'UE - la Commission,   le Parlement et les États non membres restant informés de ces activités et occasionnellement consultés. Ce directoire respecterait le principe de l'accord unanime de ses membres pour toute décision.

On voit donc que cette initiative française parait assez éloignée de la conception usuelle d'"union politique" et pourrait même, sous certains aspects, s'y opposer.

Toutefois, vu la gravité de la situation économique et sociale au sein de l'UE, les suggestions précises que pourra faire le Gouvernement français mériteront d'être examinées pour leur mérite propre. Si elles contribuent à renforcer les mesures déjà prises et à accélérer la mise en oeuvre des propositions présentées par la Commission et soutenues par le Parlement - si elles respectent le fonctionnement normal des Institutions tel que fixé par les Traités et si elles n'affectent pas l'unité et la solidarité de l'ensemble des États membres de l'Union - ces suggestions seront les bienvenues.

Il demeure que, jusqu'ici, les Gouvernements français successifs se sont avérés plutôt réticents à adapter - pour le moderniser - le "compact social" qui caractérise la société française et à dépasser les "obstacles structurels à la croissance" relevés depuis de nombreuses années par le FMI, l'OCDE, la Commission, ...

Il demeure également que, jusqu'ici, ces Gouvernements se sont montés très attachés à préserver leur "autonomie politique" et peu enclins à mettre en commun la souveraineté nationale avec les autres États de l'UE par l'intermédiaire des Institutions européennes pourtant légitimées par les Traités pour ce faire.

Si ces deux traits caractéristiques de la position française devaient demeurer inchangés, on voit mal quels véritables progrès pourraient être accomplis - quelle que soit la valeur technique des suggestions avancées.

Au total, cette nouvelle initiative française - très éloignée du véritable concept d'"union politique" - risque de créer une inopportune et infructueuse diversion dans le débat pré-électoral de 2014 dont le thème principal devrait demeurer : comment renforcer la gouvernance et les compétences de l'UE pour surmonter la crise politique de l'Union et donc notamment sa capacité à prendre les mesures nécessaires pour faire face à la crise économique et sociale ?


Jean-Guy GIRAUD








 

dimanche 7 avril 2013

UE 2014 : "veto delendum est"


De nombreuses dispositions du Traité de Lisbonne maintiennent le droit de veto de chacun des 27 États membres (c'est à dire la nécessité de leur vote unanime) sur les décisions les plus importantes du Conseil de ministres de l'UE (1).

C'est par exemple le cas pour les principales décisions relatives à l'union monétaire, budgétaire, fiscale, financière et sociale - ainsi que pour la plupart de celles relatives à la politique étrangère et à la défense ou certaines de celles concernant les affaires intérieures et judiciaires.

Bien que rarement soulignée - voire relativisée ("on ne vote pas au Conseil : on recherche le consensus") - cette source de blocage du processus décisionnel est un formidable handicap pour l'évolution de l'Union, notamment lorsque certains Gouvernements l'utilisent de façon quasi systématique, en font un instrument de chantage politique ou une expression de leur euroscepticisme occasionnel.

La perspective même du veto empêche souvent les Institutions (notamment la Commission) d'ouvrir les dossiers qui pourraient s'y heurter.

Des mesures palliatives existent bien pour tenter de contourner ce blocage en dernier ressort : les "clauses passerelles", la coopération renforcée, l'"abstention constructive" ou les accords intergouvernementaux. Mais elles comportent toutes des inconvénients majeurs et sont d'ailleurs rarement utilisées.

Tant l'accroissement du nombre des États membres que la nécessité de développer les politiques encore soumises au veto devraient donc conduire l'UE à supprimer une règle d'unanimité d'un autre âge. Règle que l'on ne retrouve plus guère dans les statuts des organisations internationales ou dans les constitutions des États fédéraux.

Cette suppression est un des éléments principaux de la nécessaire révision des Traités - laquelle requiert aussi le vote unanime des États et devra donc être également modifiée.

L'achèvement de cette réforme copernicienne du régime des souverainetés nationales au sein de l'UE est une condition indispensable à son développement. Comme l'affirme souvent la Chancelière allemande: " Une Union européenne qui serait incapable de se réformer serait condamnée à la paralysie".

Il serait utile que cette question soit soulevée clairement et explicitement à l'occasion du débat qui précèdera l'échéance de 2014.

Jean-Guy GIRAUD

(1) Au total, 62 articles TUE et TFUE prévoient un vote à l'unanimité du Conseil et du Conseil européen.